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Le chef Daniele Corona, champion de la durabilité culinaire au Canada

Avant un repas à plusieurs services, place à une discussion sur la responsabilité environnementale, entre autres, dans le somptueux décor du Don Alfonso 1890 — étoilé Michelin — à Toronto.

Par: Logan Ross

« Mesdames et messieurs, bonsoir et bienvenue chez moi au Don Alfonso. »

Quelques mois après que le restaurant emblématique de Toronto a obtenu sa première étoile Michelin — l'un des premiers torontois à recevoir cette reconnaissance suite à l'arrivée officielle du Guide Michelin dans la ville cette année — le chef exécutif Daniele Corona semble aussi à l'aise dans la salle à manger que dans sa cuisine tant aimée.

Une partie du souper, organisé par nos amis chez Audi Canada, était consacrée à la célébration de l'arrivée tant attendue du Guide Michelin à Toronto. Cette mission a été menée par Franco Stalteri, cofondateur des événements de soupers privés Charlie's Burgers et du CB Wine Program.

L'autre partie, une table ronde sur la durabilité environnementale dans l'industrie culinaire canadienne, ainsi que celle pratiquée à l’intérieur des murs arrondis du restaurant même.

Au menu : un repas spectaculaire à plusieurs services conçu pour promouvoir la durabilité et les compétences culinaires. Mais avant que les invités puissent le savourer, un amuse-gueule en forme d’entretien avec le chef Daniele Corona pour discuter de ses récentes réalisations, de son point de vue sur la responsabilité environnementale et de ce qu’il nous réserve pour l’avenir.

LR : Daniele, il y a quatre ans, tu es arrivé ici d’Italie. Étant toi-même un chef originaire de Naples de classe mondiale, la question qui brûle les lèvres de tout le monde : as-tu déjà cuisiné pour Lorenzo Insigne (nouvelle étoile du CF Toronto, anciennement du SSC Napoli)?

DC : En fait, nous n'avons pas encore cuisiné pour lui, mais l'un de nos invités réguliers est Federico Bernardeschi — une autre nouvelle étoile italienne du CF Toronto, précédemment de la CF Juventus à Turin, Italie. Il aime beaucoup notre cuisine et notre restaurant. Il aime la bonne cuisine.

LR : Et j'ai entendu dire que Federico apprécie déjà la ville!

DC : Oui, il l’aime bien! J'ai entendu dire qu'il se sentait très bien maintenant dans la ville. Et en fait, nous sommes maintenant un peu amis! Quand certains invités viennent régulièrement, j'essaie toujours d'avoir une relation avec eux et après ça peut se transformer en amitié. On s’envoie des textos, j'essaie toujours de lui trouver une place parce que c'est un bon gars qui comprend la philosophie de notre restaurant.

LR : Et parce que c'est un athlète, il a toujours « molto fame» — très faim.

DC : Oui, mais en fait, il mange très bien. Il ne mange pas trop, mais les produits qu'il veut sont de très haute qualité.

LR : En fait, il y a beaucoup plus d'Italiens à Toronto! La ville est reconnue pour sa grande population italienne. L'avez-vous remarqué assez rapidement lorsque vous êtes arrivé ici, il y a quatre ans?

DC : Quand je suis arrivé au pays, je savais que Toronto avait une grande communauté italienne et j’en étais extrêmement heureux. C’est important de se sentir à l’aise quand on va à l'autre bout du monde, et c’est possible quand il y a des gens de sa patrie.

Beaucoup d'Italiens d’ici sont nés au Canada, ils sont donc italo-canadiens. Vous savez ce que j'aime chez eux? Ils respectent nos normes, nos traditions. Ils perpétuent beaucoup de choses que nous avions en Italie. Par exemple, chaque été, ma grand-mère fait de la sauce maison, passata di pomodoro, pour pouvoir en profiter toute l'année. Maintenant, avec la nouvelle génération en Italie — moi y compris — ç'a presque disparu parce que nous pouvons simplement l'acheter au supermarché. Mais si vous allez dans une petite ville près de Toronto comme Woodbridge, vous verrez que chaque maison a un petit pot uniquement pour faire la passata à chaque année!

Je trouve que certaines choses très traditionnelles comme ça, ce genre de culture, ont maintenant disparu en Italie.

LR : J'ai lu que votre oncle était chef cuisinier et qu'en grandissant, votre famille avait une culture culinaire très forte à la maison, ce que nos familles partagent! Je suis britannique et j'ai grandi avec la tradition de se réunir pour faire de vrais rôtis du dimanche.

DC : Oui! Le dimanche et surtout à Noël, toutes les familles se réunissent. J'ai donc été très surpris lorsque j'ai vu mon oncle cuisiner et préparer la nourriture pour tout le monde. C'était un très beau geste et lorsqu’on cuisine avec passion et amour, ça se ressent. C'est pourquoi j'ai commencé à aimer mon travail; parce que quand je voyais ma famille — mon oncle, ma grand-mère, ma mère — nous préparer le dîner ou le souper, c'était avec amour et passion.

LR : Au début de votre carrière, vous avez travaillé dans des restaurants étoilés Michelin dans des villes comme Rome et Milan. Ça vous a fait quoi de venir d'Italie pour occuper un poste de chef exécutif à Toronto, puis de remporter une étoile Michelin au Don Alfonso, en plus d'autres prix comme celui du « Meilleur restaurant italien du monde » en 2022, décerné par 50 Top Italy, une publication gastronomique très respectée?

DC : Vous savez quoi, la majeure partie de ma carrière en Italie s'est déroulée dans des restaurants étoilés Michelin. Quand je suis arrivé ici, il y a quatre ans, le guide Michelin n'était toujours pas là; il est arrivé il y a seulement quatre mois. Notre message au Don Alfonso est de montrer nos principes, nos aliments traditionnels, dans des styles de haute gastronomie. Pendant de nombreuses années, notre cuisine était représentée par des pâtes et de la pizza, mais la cuisine italienne est bien plus que ça. La bouffe italienne est synonyme de produits exceptionnels, exécutés simplement, tout de même réfléchis.

Notre pays est très petit, mais varie selon les régions. Si vous allez à Naples, vous trouverez un type de nourriture complètement différent de celui de Rome ou du nord de l'Italie. D'autres plats, d'autres saveurs. Mon pays est très riche en matière de culture, d'histoire et de passion pour l'hospitalité.

LR : Et maintenant que vous avez vu les deux côtés, l’Italie et maintenant Toronto, que pensez-vous que les Canadiens peuvent apprendre de cette philosophie de la cuisine et de l'appréciation de la nourriture?

DC : Lorsqu’on est arrivé ici, notre objectif était de reprendre le même concept que le restaurant original Don Alfonso sur la côte amalfitaine. Mais avec le chef Ernesto, nous avons constaté que de nombreux ingrédients comme la mozzarella ou la ricotta n'étaient pas les mêmes qu'en Italie. Nous avons donc parcouru le pays pendant plus de deux mois pour trouver les meilleurs produits locaux et, à partir de là, nous avons élaboré nos plats. Par exemple, nous avons un filet de bison du Manitoba, du canard du Québec, du bœuf Wagyu de l'Ontario spectaculaire. Notre idée pour le Don Alfonso à Toronto était d'utiliser des produits locaux avec nos idées et nos compétences, car nous pensons être prêts à mélanger les cultures italienne et canadienne.

En faisant ça, nos clients reconnaissent ce qu'ils mangent, mais d'une manière différente. Par exemple, nous avons notre Wagyu avec des artichauts préparés à l’italienne au lieu d'une simple pomme de terre, ce qui est très courant ici. Nos artichauts carbonisés de manière traditionnelle italienne sont offerts dans une présentation très raffinée, mais après une bouchée, vous serez ramenés vers des saveurs très familières.

LR : Le Canada est évidemment un pays encore très jeune, notre cuisine réside encore dans le « viande et pomme de terre », alors que l'Italie est beaucoup plus ancienne et possède une histoire culinaire plus riche. Étant ici depuis relativement peu de temps, comment voyez-vous l'avenir de la cuisine canadienne?

DC : Nous avons déjà eu quelques réunions avec notre PDG pour discuter du projet à long terme qui est de rendre le restaurant plus durable. Nous envisageons de créer au 37e étage (directement sous le restaurant, situé au 38e étage du Westin Harbour Castle) un nouveau système d’énergie solaire afin d'alimenter le restaurant.

C'est un grand projet et nous ne faisons qu'en parler, mais nous voulons le faire parce que nous voulons accorder nos flûtes avec le Don Alfonso original, qui fêtera ses noces d’or l'année prochaine. Le chef Alfonso a été l'un des premiers chefs en Italie à avoir une ferme où il cultivait les légumes pour son restaurant — de la ferme à la table. Aujourd'hui, on dirait une tendance, mais les chefs doivent se rendre à l’évidence que nous sommes confrontés aux changements climatiques et que nous devons, mes collègues et moi, contribuer à créer un meilleur futur. On doit s’assurer que la prochaine génération le fera aussi. C'est pourquoi on ne se concentre pas sur la quantité de couverts, mais plutôt sur la durabilité.

Au début, nous devions créer un autre restaurant au 37e étage, mais après quelques réunions avec le PDG, nous voulions rester sur la même longueur d'onde que le Don Alfonso original et créer un nouveau système énergétique avec des panneaux solaires. Mais pour l'instant, ce n'est que notre rêve, nous devons encore avoir de nombreuses conversations.

LR : C'est une belle initiative et ça semble vraiment avant-gardiste — la durabilité devient une conversation de plus en plus essentielle dans l'industrie culinaire mondiale. Nous commençons à en voir davantage à Toronto et au Canada, et je pense que l'arrivée du Guide Michelin met notre scène gastronomique sous les feux de la rampe. À votre avis, dans quelle mesure Toronto est-elle maintenant loin d'être comparée à certaines des grandes villes gastronomiques du monde, comme Londres, Milan ou Tokyo?

DC : Je pense que nous sommes sur la bonne voie. Toronto est une très belle ville et je pense que nous sommes sur la bonne voie pour atteindre le niveau de renommée d’une ville comme New York, qui est très proche d'ici et qui a de très, très, très bons restaurants, mais Toronto a aussi de très bons restaurants. Je pense que dans les deux ou trois prochaines années, nous verrons de nombreuses ouvertures de restaurants de grande qualité, c'est certain.

  

  

  

la photographie par: Ernesto di Stefano, George Pimentel Photography

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