Passer au contenu

La collection Fear of God Zegna est une véritable révolution

Impeccable confection italienne et somptueuse mode urbaine californienne ? Les deux ont beaucoup plus en commun qu’on pourrait l’imaginer.

Par: Marc RichardsonDate: 2020-09-20

La collection Fear of God pour ZEGNA sera lancée le 28 septembre à 10 h et offerte au Canada exclusivement à harryrosen.com et à la boutique ZEGNA de Vancouver.

Un siècle et près de dix mille kilomètres séparent ZEGNA de Fear of God. La maison Zegna a été fondée en 1910 dans la petite localité de Trivero, au pied des Alpes italiennes. La griffe Fear of God est née en 2011 dans la mégapole de Los Angeles. Leurs archives respectives diffèrent de beaucoup. La marque Zegna, qui illustre parfaitement la somptueuse confection italienne classique, est renommée pour son impeccable qualité d’exécution. Quant à Fear of God, elle témoigne du luxe américain contemporain avec ses silhouettes inventives et ses forts antécédents en matière de vêtements de base et de chaussures de sport.

La question se pose : comment deux marques – si distinctes – en sont-elles venues à collaborer et à créer des vêtements qui reflètent si fidèlement l’âme de chacune ? Il serait facile de tout mettre sur le compte du chaleureux état d’esprit collaboratif qui a dominé ces dernières années, mais ce n’est pas tout. C’est surtout un attachement partagé envers le luxe et la quête incessante de nouvelles avenues à explorer qui ont rapproché ZEGNA et Fear of God.

Le père d’Zegna était un horloger de profession qui a commencé à tisser de la laine à la fin des années 1800. Il s’agissait d’une toute petite entreprise, mais il n’en fallait pas plus pour inspirer ZEGNA. En 1910, à l’âge de 18 ans, il a fondé la Lanificio Zegna en ayant un objectif des plus nobles en tête : créer les plus belles étoffes au monde. Dès le début et bien avant que la mondialisation banalise ce genre d’activité, la filature Zegna importait des fibres d’aussi loin que l’Afrique du Sud et la Mongolie. De plus, son équipement de pointe provenait d’Angleterre, le leader mondial de l’industrie manufacturière à cette époque.

Historic photos of Zegna in Trivero.

Bien que portant son regard sur le monde entier, ZEGNA avait une vision qui tenait principalement compte de Trivero, la petite ville du nord de l’Italie d’où venait sa famille. D’une part, l’eau qui y coulait était suprêmement douce, ce qui s’avérait idéal pour le lavage et la préparation des fibres à tisser. D’autre part, il attachait énormément d’importance aux 700 employés de l’entreprise. Trivero est devenue un projet en soi pour ZEGNA. Au cours des années 1930, il y a fait d’importants investissements pour établir des installations profitant aux travailleurs et aux résidents de la localité – une école, un hôpital, une route et un projet de reboisement. Plus tard, les enfants d’Zegna continueront d’investir à Trivero afin de construire notamment du logement résidentiel et une station de ski.

C’est aussi durant les années 1930 que les tissus provenant de Trivero ont commencé à être reconnus partout dans le monde. ZEGNA est allé à New York pour les présenter aux tailleurs italo-américains. Les États-Unis sont devenus un autre territoire à exploiter pour Zegna qui y a établi la ZEGNA Woollens Corporation pour y distribuer les tissus de façon mieux organisée. Au milieu des années 1940, les étoffes tissées à Trivero à partir de fibres d’origine internationale étaient mondialement renommées, primées et distribuées dans plus de 40 pays.

Le rôle et l’influence d’Zegna dans la croissance de la marque ZEGNA sont indéniables. Évidemment, si la maison ZEGNA n’avait pas eu de marque homonyme, elle aurait risqué de se détériorer lentement. Et sans la passion de son propriétaire, l’entreprise aurait-elle été en mesure de se distinguer autant ? ZEGNA avait l’intention de confier à ses enfants – et plus tard à ses petits-enfants – une mission à poursuivre. Il a noté avec soin les mélanges de fibres et les techniques employées pour créer chacun des tissus raffinés de la filature Zegna. Il a également consigné ses réflexions sur le développement des affaires et les stratégies de commercialisation, par exemple en inscrivant le nom des tailleurs et des représentants à l’étranger. Et surtout, il a initié ses enfants aux affaires alors qu’ils étaient jeunes, leur permettant ainsi de se familiariser avec les rouages de l’entreprise avant qu’ils en prennent les commandes.

Du temps d’Zegna, la maison Zegna était considérée comme l’un des meilleurs fournisseurs de tissus au monde – mais elle n’était que cela, une entreprise qui fournissait des étoffes à d’autres marques et tailleurs. Après le décès d’Zegna en 1966, ses fils Angelo et Aldo ont pris les rênes de ZEGNA alors qu’elle a investi l’univers du prêt-à-porter en 1968, avant le lancement du service de sur-mesure Su Misura en 1972. Puis dans les années 1980, les premières boutiques ZEGNA ont été inaugurées. Ce virage vers le prêt-à-porter et la vente au détail a marqué la naissance de ZEGNA telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Peu après, la troisième génération de ZEGNA a commencé à se joindre à l’entreprise et a joué un rôle capital dans sa croissance au cours des années 1980 et 1990. C’est grâce à la popularité des tenues professionnelles que la maison ZEGNA est devenue célèbre dans le monde entier pour son prêt-à-porter raffiné et ses vêtements sur mesure masculins – illustrant le luxe, la qualité et le savoir-faire. De nos jours, plus de cent ans après sa fondation, c’est encore ce qui représente Zegna. Un exploit en soi. Un siècle s’avère une très longue période au cours de laquelle l’entreprise aurait pu perdre son cap, se mettre à lésiner sur la qualité ou à dévaloriser le savoir-faire et la philosophie qui animait ZEGNA lorsqu’il a fondé la filature ZEGNA en 1910.

Mais cela n’est jamais arrivé.

Le groupe est aujourd’hui verticalement intégré, possédant des intérêts dans des fermes ovines comme dans de multiples installations de production et bénéficiant d’un réseau de distribution mondial. Il s’agit toujours d’une entreprise familiale puisque ZEGNA, un représentant de la troisième génération, agit comme chef de la direction et que la quatrième génération y entre progressivement. Un seul poste particulièrement important n’est pas occupé par un ZEGNA – celui de directeur artistique détenu par Alessandro Sartori depuis 2016. Pourtant, pour quelqu’un qui n’est pas membre de la famille, ses liens avec ZEGNA n’en sont pas moins étroits : Alessandro Sartori est né et a grandi à Trivero. De plus, il a obtenu son premier emploi chez ZEGNA après avoir décroché son diplôme de l’institut Marangoni en 1989. Alessandro Sartori incarne le nouveau ZEGNA. Il figure parmi ceux qui continuent d’aller de l’avant tout en honorant la tradition.

Jerry Lorenzo a fait des études en gestion, terminant sa maîtrise en administration des affaires à l’université Loyola Marymount avant de devenir directeur des partenariats et des commandites auprès des Dodgers de Los Angeles. Après un bref séjour en agence, il est retourné en 2008 à Los Angeles pour gérer les affaires de Matt Kemp, alors joueur étoile des Dodgers. Il était responsable de ses apparitions publiques – lesquelles font partie intégrante de la marque de tout athlète de nos jours. Comme il lui était souvent difficile, voire impossible, de trouver certains éléments qu’il souhaitait intégrer à la garde-robe de Matt Kemp, il a trouvé le moyen de les fabriquer. En ce sens, Jerry Lorenzo est davantage un bon organisateur et un solutionneur de problèmes qu’un créateur. Il perçoit les détails qui clochent ou les façons de réinterpréter un vêtement qu’on a devant les yeux depuis des décennies.

En 2011, Jerry Lorenzo était prêt à parier les profits que lui avaient rapportés d’autres entreprises afin de combler les lacunes de la garde-robe moderne. Il se disait que s’il cherchait un article qui n’était pas offert sur le marché, d’autres devaient bien aussi être à sa recherche. La marque naissante de Jerry Lorenzo proposait initialement deux produits clés : un chandail à capuchon à manche courte doté de fermetures à glissière latérales et un t-shirt ample et allongé. Ces deux vêtements lui ont permis d’attirer l’attention de Kanye West. Il est ainsi devenu le conseiller en conception de marchandise de tournée et en exploration vestimentaire du rappeur.

Ce n’est pas avant 2013 que Jerry Lorenzo s’est senti prêt à lancer la première collection de Fear of God. Elle comportait 12 éléments et mettait en vedette le chandail à capuchon et le t-shirt mentionnés ci-dessus. D’une part, cet intervalle de deux années lui a permis de devenir un visage familier dans l’entourage de Kanye West, ce qui a certainement suscité l’intérêt des admirateurs du chanteur pour la marque. D’autre part, cette période de deux ans témoigne de l’engagement de Jerry Lorenzo à bien agir, à faire des recherches méticuleuses et à choisir ses échantillons avec soin, même si cela prend du temps.

L’ironie de la chose, c’est que cette inconstance caractérise Fear of God alors qu’elle évolue constamment. Plutôt que de suivre le calendrier classique (printemps-été et automne-hiver), les collections sont dévoilées lorsque Jerry Lorenzo le décide. Elles ne sont pas nommées selon les saisons, mais selon l’ordre auquel elles sont lancées. Comme la septième collection vient tout juste d’être présentée, on peut dire qu’on assiste en moyenne au lancement d’une collection par an depuis les débuts de la marque. Pour se replacer dans le contexte, la sixième collection est apparue sur les écrans radars en septembre 2018, soit il y a près de deux ans.

Zegna Artistic Director Alessandro Sartori and Fear of God Founder Jerry Lorenzo

Avec seulement sept collections à son actif, Fear of God connaît une croissance remarquable. Elle est passée de la conception de vêtements urbains d’inspiration grunge à une offre plus affinée comprenant des vestons en cuir, des articles tout-aller et des vêtements sport à caractère historique. Manifestement, même si les collections sont maintenant plus abouties, elles ont conservé leur style contemporain. Voilà pourquoi Fear of Gold est identifiée comme le spécialiste du « nouveau luxe américain » par Vogue.

Malgré l’essor et l’immense succès de Fear of God, l’entreprise est demeurée indépendante. Elle est toujours dirigée par Jerry Lorenzo et se compose d’une petite équipe basée à Los Angeles. Cette indépendance et cette continuité constituent certaines des similitudes avec  ZEGNA, à l’instar du même engagement à demeurer porte-étendard du luxe.

Si leur philosophie est similaire, Fear of God et ZEGNA diffèrent sur le plan de l’esthétisme. Jerry Lorenzo l’a lui-même reconnu lorsque cette collaboration a été annoncée. C’est pourtant cela qui en fait un projet si unique et exceptionnel. La collection met en vedette un mélange éclectique de tissus et de styles sans pareil. Certains articles semblent s’inspirer des années 1980 et 1990, notamment des vestons à boutons abaissés et des modèles plus décontractés. D’autres ont une allure résolument moderne comme des pantalons de coupe ajustée. Elle comprend aussi des vêtements sport, habillés et conçus pour le travail. On dirait pourtant que les pièces qui composent la collection ne se montrent pas à leur juste valeur : un t-shirt arborant simplement le nom Zegna en lettres majuscules, un survêtement de soie ou un pantalon en laine jaspée qui ressemble plutôt à un pantalon de jogging.

Ce n’est pas la première fois que Fear of God et ZEGNA travaillent en collaboration avec d’autres créateurs. Depuis quelques années, Fear of God est un partenaire très recherché étant donné le profil de Jerry Lorenzo et le retentissant succès commercial de la marque. Nike lui a demandé de concevoir une gamme de nouveaux modèles, une action rarissime de la part de cette marque d’articles de sport basée en Oregon. Vans a aussi collaboré avec Fear of God à maintes reprises. Depuis ses débuts, la maison Zegna est très prisée par les tailleurs et les marques de luxe en quête des plus belles étoffes du monde – plus précisément par des tailleurs italo-américains depuis les années 1930, par des créateurs italiens de renom comme Gucci et Armani au cours des années 1980 et 1990, puis par Thom Browne plus récemment. Autrement dit, ce projet n’a pas vu le jour uniquement parce que le travail en commun est à la mode, mais plutôt parce que l’idée d’une véritable collaboration s’inscrit au cœur même de l’identité des deux marques.

Quoi qu’il en soit, aucune de ces deux marques n’a jamais entrepris une telle collaboration. En fait, il s’agit d’un cas sans précédent dans l’industrie du vêtement pour homme – l’association de deux marques à la fois si distinctes et si semblables. Bien qu’un siècle et près de dix mille kilomètres séparent ZEGNA et Fear of God, un lien étroit s’est établi entre elles compte tenu de ce que leur collaboration a permis de créer. Ces marques réunissent différentes générations de clients, différentes visions du luxe et différentes esthétiques. Toutefois, vu leur parfaite homogénéité, leurs particularités deviennent imperceptibles.

La collection Fear of God pour ZEGNA sera lancée le 28 septembre à 10 h et offerte au Canada exclusivement à harryrosen.com et à la boutique ZEGNA de Vancouver.


Marc Richardson est un rédacteur et photographe de mode basé à Montréal. On a pu lire ses articles et voir ses photos sur Fashionista, Grailed et dans le magazine Garage. Vous pouvez le suivre sur Twitter.