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L’histoire de la chemise polo

Par: Marc RichardsonDate: 2021-04-21

Si vous deviez imaginer la chemise parfaite pour l'été, elle serait probablement munie d’un col; confortable et classique à la fois; d’une élégance décontractée; et pourrait se porter sous un veston ou plus simplement le week-end.

Si cela vous semble familier, c’est parce que je décris un classique incontournable de la mode masculine - la chemise polo.

Le Polo est une des pièces fondamentales que chaque homme devrait posséder dans sa garde-robe – en grand nombre d'ailleurs. Des terrains de golf aux bureaux de coin et des campus de collèges aux studios d’artistes, le polo est un pilier de la mode depuis plus de 50 ans. Mais son histoire remonte encore plus loin – et ironiquement, se rapproche davantage du tennis qu’au jeu de polo.

La chemise polo se compare à une version du jeu du téléphone pour vêtements pour hommes – quoique avec un meilleur résultat : des changements mineurs ont été apportés entre chaque itération, mais après un siècle, ils se sont additionnés et les polos d’aujourd’hui ont peu de ressemblance à ceux d’il y a 100 ans.

Tout commence dans les années 1800 lorsqu’un dénomé John E. Brooks assiste à un match de polo lors d’un voyage en Angleterre. Brooks était plus qu’un simple spectateur : il était le petit-fils de Henry Sands Brooks, fondateur du drapier américain Brooks Brothers. À cette époque, le polo – que les soldats britanniques avaient découvert en Inde et rapporté au Royaume-Uni – était synonyme de la haute aristocratie et se jouait en bottes d'équitation à hauteur de genou, en pantalon jodhpur et en chemise à manches longues, dotée de boutons fixés au col pour empêcher qu’il ne s’agite au vent. Brooks s’est épris de ce petit ajout et à son retour en Amérique, a entrepris de confectionner et de commercialiser la “chemise polo originale” – que l’on nomme aujourd'hui la chemise Oxford boutonnée. Elle a connu un succès retentissant dès ses débuts en 1896.

Le Bagatelle Polo Club de Paris, 1900.Le Bagatelle Polo Club de Paris, 1900. Image via Wikipedia.

Les chemises à manches longues munies d’un col étaient assez populaires auprès des sportifs au tournant du siècle, que ce soit sur les terrains de polo ou de rugby ou dans les clubs de golf ou de tennis.

Dans ce dernier cas, la tenue toute en blanc régnait en maître, avec des chemises habillées de coton blanc, des pantalons blancs à plis et occasionnellement le port de lavallières constituant l’uniforme de choix. Ce qui est tout de même curieux concernant la tenue de tennis au début de 1900 est le fait que les joueurs restaient fidèles aux chemises à manches longues malgré le fait qu’ils retroussaient invariablement leurs manches.

René Lacoste

Puis vint René Lacoste. Lacoste était une des vedettes de tennis prééminentes des années 1920, démontrant une adresse et un sens du style exceptionnels. En 1923, Lacoste a fait une gageure avec son entraîneur de la Coupe Davis avant un match à Boston. S’il était pour gagner, l'entraîneur devait lui acheter un porte-documents en peau de crocodile qu’il avait vu lors de son séjour. Lacoste, encore tout jeune, a perdu le match, mais peu de temps après un journaliste américain a mentionné cette gageure dans un reportage et se mit à le surnommer le crocodile. Reconnu pour sa grande ténacité sur le court, son surnom est resté et il a éventuellement remporté sept titres du Grand Chelem entre 1925 et 1929.

Cela en soit est remarquable, mais ce dont on se rappelle le mieux lorsqu’il dominait le monde du tennis est ce qu’il portait.

Lacoste a défié le statu quo de la tenue vestimentaire sur le court pour la première fois en 1926 lors du U.S. Open de tennis (qu’il a remporté). Fatigué de devoir retrousser ses manches longues qui étaient la norme, Lacoste a conçu une chemise légère en piqué de coton dotée d’une patte de boutonnage à 3 boutons, d’un col et - surtout – de manches courtes. C’est également au US Open de 1926 que Lacoste arbora le logo du crocodile, créé par Robert George, sur la poitrine gauche de sa tenue de tennis. Si Lacoste n’avait pas été le meilleur joueur au monde à cette époque, il est peu probable que les gens aient adopté cette chemise peu orthodoxe. Bien que le tennis est un sport ancré dans la tradition – les gens aiment les gagnants – alors la chemise de tennis à manche courte est restée.

  • René LacosteRené Lacoste portant son polo signature sur le court
  • Une annonce de style Art déco des chemises Lacoste (à droite)Une annonce de style Art déco des chemises Lacoste (à droite)

Le polo s’est avéré si révolutionnaire d’un point de vue sportif que même les compétiteurs de Lacoste se mirent à porter sa chemise, et tellement populaire que les drapiers ont commencé à produire leur propre chemise en piqué de coton à manches courtes pour la masse. Lacoste s’est retiré du tennis de compétition dans les années 1930 et établit un partenariat avec André Gillier, un important fabricant de tricots, afin de confectionner et de commercialiser sa chemise révolutionnaire. Le lancement de La Chemise Lacoste a eu lieu en 1933.

Les joueurs de polo, tout comme les joueurs de tennis, l’ont immédiatement adopté. Cette nouvelle chemise de tennis fut synonyme d’une certaine élégance décontractée – une alternative pour la nouvelle génération de sportifs fréquentant les clubs de tennis, de polo et de golf. Les premières publicités de La Chemise Lacoste présentaient des illustrations cubistes – tout à fait dans l’air du temps – et une chemise blanche Lacoste conçue pour le tennis, le golf et la plage, en plus de préciser qu’une vraie chemise Lacoste doit porter le logo du désormais iconique crocodile. Même si plusieurs marques ont tenté de capitaliser sur la popularité grandissante de la chemise de tennis, très peu d’entre elles ont réussi à rivaliser avec le nom de Lacoste, en plus de ne pouvoir prétendre être à l’origine de la création du style.

Même si elle fut commercialisée pour la masse pendant au moins deux décennies, la chemise de tennis Lacoste conservait un aspect quelque peu rebelle – un affront envers les chemises plus traditionnelles et amidonnées d’antan – elle ne fut donc pas adoptée mondialement à ses débuts. Il faut attendre les années 1950 avant qu’elle ne soit portée partout dans le monde. Ceci s’explique en partie par son origine européenne, associée à la nouvelle aristrocratie de France et d’Angleterre. Éventuellement, grâce à un contrat de licence avec le fabricant américain Izod, la chemise de tennis Lacoste a traversé l’Atlantique pour trouver sa place dans les campus américains et s’ancrer définitivement dans le mouvement de style des universités prestigieuses de la côte nord est des États-Unis.

JFK sur son voilier Victura, 1962.JFK sur son voilier Victura, 1962.

L'élite universitaire américaine

L'américanisation de la chemise de tennis a joué un rôle important dans notre perception actuelle du polo. Oui, elle fut conçue pour le sport, mais sur la côte nord est américaine les étudiants bon chic bon genre ont découvert qu’elle pouvait se porter de façon plus habillée lorsqu'on attache les boutons et qu’on la porte sous un veston sport. De plus, lorsqu’elle est déboutonnée avec le col ouvert, la chemise de tennis peut être décontractée et classique à la fois. Quelle que soit la manière de la porter, la chemise de tennis fut dorénavant réputée pour son style indéniable autant par les américains que par les européens.

Au début des années 1960, la chemise de tennis – qu’elle soit confectionnée par Lacoste ou par l’un des innombrables fabricants alors au fait de l’immense demande pour ce style – est devenue la préférée de la nouvelle caste de créatifs qui définiront le milieu du siècle. Le saxophoniste de jazz John Coltrane en était fameusement friand; Elvis Presley, également, aimait les chemises à manches courtes munies d’un col, et les portait souvent avec une touche de modernité : avec un seul ou aucun bouton. Jack Kerouac, un des auteurs déterminants du mouvement Beatnik du milieu du siècle, les appréciait tout autant. Tout comme Sidney Poitier, qui les portait autant à l’écran que dans sa vie privée. Steve McQueen, aussi, portait des chemises de tennis avec autant de naturel à l’écran que lorsqu'il recevait des écrivains ou des photographes dans sa résidence pour des interviews. Pendant ce temps, une nouvelle génération d'athlètes d'élite redéfinissait leur sport, mais également le style du sport. Arnold Palmer est reconnu pour son élégance et son panache, marchant dans l'allée dans des chemises mettant en évidence sa force et sa classe – ses biceps bombés sous sa chemise déboutonnée, souvent une cigarette aux lèvres, tout en ayant un look soigné – c’est ce qui définira éventuellement l’allure du golf moderne.

  • Sidney PoitierSidney Poitier
  • Elvis PresleyElvis Presley
  • Paul NewmanPaul Newman
  • Jack KerouacJack Kerouac

Du côté de l'Europe, des artistes tels Pablo Picasso s’appropriaient également la chemise de tennis à des fins non sportives, tandis que Sean Connery en augmentait la popularité en la portant de façon élégante et décontractée dans son rôle du célèbre agent secret britannique, James Bond.

Depuis ses débuts, ce style de chemise est synonyme d’une attitude rebelle, et avec le temps il est devenu évident que les non-conformistes – quel que soit leur domaine – ont adopté la chemise de tennis à bras ouverts. Poitier, Coltrane, Presley, Kerouac, Connery, le fictif Bond, McQueen et Palmer furent tous des pionniers dans leur domaine respectif, et la chemise de tennis, même si elle n'était pas celle qu’ils portaient le plus souvent, était sans contredit celle dans laquelle ils paraissaient le plus à l'aise. Possiblement aucune photographie d’une personne de cet acabit ayant une allure si confortable et élégante dans une chemise de tennis, n’est autant gravée dans notre conscience collective que celle du président John F. Kennedy manœuvrant seul son bateau en mer, savourant un cornet de crème glacée, parfaitement à l'aise, d’une élégance décontractée et incroyablement calme durant cette période trouble et stressante.

Pendant ce temps dans les années 1960, un nouveau développement dans la confection de vêtements eu pour effet de segmenter la chemise de tennis entre les vêtements de sport et ceux que l’on porte tous les jours. Izod, licencié de Lacoste en Amérique, a commencé à utiliser du polyester dans la confection des chemises signature – ce matériau synthétique rendait le vêtement plus léger, offrait davantage de respirabilité et était résolument plus durable tout en conservant la couleur. Dans le monde du sport ce nouveau tissu fut bien accueilli, mais la transition s'éloignant du piqué de coton ne fut pas appréciée de tous.

Arnold PalmerArnold Palmer attend de jouer son coup de départ et porte élégamment un polo sous son cardigan en 1966 à Augusta en Géorgie. (Photo de Augusta National/Getty Images)

Ralph Lauren

Une de ces personnes était le jeune Ralph Lauren, grand amateur de la traditionnelle chemise de tennis et des vêtements de sport du milieu du siècle en général. Il avait tant d'affinité avec le jeu de polo qu’en 1968, il nomma sa première ligne de vêtements Polo, présentant des chemises pour hommes et femmes inspirées des chemises boutonnées du début des années 1900 et ornées d’un joueur de polo sur un cheval. En 1972, désillusionné par la transition vers des fibres synthétiques, Polo Ralph Lauren fit le lancement de ses chemises de coton en affirmant qu’elles s'amélioreraient avec le temps grâce à la patine qui se développerait à force de les porter. Lauren avait également compris que les vêtements pour hommes étaient prêts pour la couleur - les blancs et même les marrons et les bleus atténués avaient encore leur place, mais également les couleurs vives. Ainsi, la traditionnelle chemise de tennis en piqué de coton Polo Ralph Lauren se déclina en 24 couleurs différentes.

Publicité rétro de Polo Ralph Lauren.Publicité rétro de Polo Ralph Lauren.

Bien sûr, à ce moment là, la chemise de tennis avait également été adoptée par les joueurs de polo. Les chemises de Polo Ralph Lauren connurent un incroyable succès – en effet, ceux qui appréciaient les chemises de tennis dans la vie de tous les jours avaient une nette préférence pour le piqué de coton – c’est pourquoi lorsque nous référons à ce style de nos jours, nous disons chemise polo et non chemise de tennis.

L’influence de Polo Ralph Lauren va bien au-delà du nom. Lauren a bâti un véritable empire sur le dos de la chemise polo – d’une façon similaire à Lacoste. Le succès qu'a connu la chemise phare de Lauren a fait en sorte que le polo symbolisera toujours l’obtention de succès grâce au non-conformisme – fermant la boucle du jeu du téléphone vestimentaire, la chemise de tennis de Lacoste étant après tout une rupture flagrante avec la tradition. Il y a une raison pour laquelle Leonardo DiCaprio porte la chemise polo dans son rôle de Jordan Belfort lorsqu’il est vraisemblablement au sommet de son succès dans Le loup de Wall Street. Il y a aussi une raison pour laquelle le polo s’est fait idéaliser dans la société : c’est un symbole de succès, de réussite, selon nos propres termes.

Le succès de Lauren a également influencé d’autres marques à tenter leur chance - à prendre des risques et repousser les limites dans différentes directions. Il a lui-même réussi en misant sur les tissus traditionnels tandis que la majorité se tournait vers la nouvelle technologie, et en imposant des couleurs dont on ne s’attend pas pour une chemise boutonnée. À travers le spectre, toutes les marques de vêtements pour hommes ont offert leur propre conception de la chemise polo – où quelque chose de semblable.

La mythologie de la classique chemise de coton de Lacoste et de Ralph Lauren a poussé l’industrie à trouver de nouvelles façons de se distinguer, et pour cela, la garde-robe des hommes s’en portent mieux.

Polos pour tous

Si vous cherchez à émuler Arnold Palmer, Sidney Poitier, René Lacoste ou Belfort de DiCaprio, il y a un polo parfait pour cela. Les polos se portent tout aussi bien agencés à des pièces de grands tailleurs italiens que pour les vacances, le coup de départ du golf ou le service dans un match de tennis.

Des marques italiennes plus luxueuses telles que Brunello Cucinelli ou Giorgio Armani ont créé leur propre version de la chemise polo confectionnée avec des tissus somptueux et de coupe élégante, et ont même réalisé quelques modèles sans bouton à la manière d’Elvis ou de Steve McQueen. D’autres marques telles Psycho Bunny ou Paul & Shark, ont plutôt adopté une approche irrévérencieuse, s’inspirant de l’esprit rebelle du polo en optant pour des rayures audacieuses et une iconographie singulière. D’autres marques confectionnent leurs polos avec René Lacoste ou Arnold Palmer en tête, cherchant à créer un vêtement à l’avant-garde du style et de la performance.

C’est la beauté d’un siècle de jeu du téléphone mené par une caste de non-conformistes vestimentaires : chacun a sa propre version de ce qu’est un polo, chacun se dit fidèle à l'idée originale, et chaque polo sied à des occasions légèrement différentes - mais est approprié pour toutes.

Marc Richardson est un rédacteur et photographe de mode basé à Montréal. On a pu lire ses articles et voir ses photos sur Fashionista, Grailed et Garage Magazine. Vous pouvez le suivre sur Twitter.